J’ai dix ans. Je suis chez ma grand-mère.

 

J’ai dix ans. Je suis chez ma grand-mère.

Quand elle parle de son  » chez elle » elle dit : ma maison, mais en fait c’est un logement situé dans un immeuble de trois étages.
Le sien est tout en haut sous les combles.

Passé la première porte, on arrive sur un petit couloir desservant quatre autres portes.
Celle de droite est réservée à une demoiselle sans âge, une « vieille fille » que je n’ai jamais vu ni sortir ni entrer de chez elle. Un vrai mystère que sa vie. Aucun bruit ou musique, aucune visite.
Une seule fois, nous avons été invitées à pénétrer le mystère. J’étais seule avec mémé. Tout un univers concentré dans une unique pièce. Sa seule richesse ? une imposante armoire normande sculptée dévorant tout l’espace ; un monstre de beauté caché aux yeux du monde.
Les trois autres portes sont réservées à mémé.
Avant d’entrer dans la cuisine, je regarde admirative le guignol en bois peint de mon père ; jouet exposé telle une relique gardienne d’une enfance passée, intouchable par nos mains d’enfants.

La cuisine… petite pièce qui ne peut recevoir plus de quatre convives. Et c’est très bien ainsi. Pas de grande tablée, mais quelle chaleur autour de la table en bois quand mémé entonnait  » la soupe au chou se fait dans la marmite… dans la marmite… etc. « 
Un peu de soupe, un bout de pain, rarement un dessert, beaucoup de joie et d’amour.

Quatre chaises, un buffet sur lequel trône une série de pots à épices en faïence, une cuisinière en fonte, un évier servant autant pour la toilette que pour la vaisselle.
Tout un univers.

Avant d’aller se coucher, mémé dépose pour la nuit, sur le chesneau en zinc, la nourriture à conserver d’un jour pour l’autre.

Avec sa tapisserie à grosses fleurs, ses bondieuseries, ses quelques photos de famille au mur, les histoires de Thérèse, et les  » morts » de mémé qui fantomisent si bien la pièce éclairée par la Lampe Pigeon, la chambre à coucher, gardienne de notre sommeil, sait très bien nous plonger dans les bras de Morphée.

Reste la salle à manger, la pièce de vie.
Elle aussi avec ses fleurs énormes au mur.
Pour nous dire qu’en ces lieux, il n’y a pas d’hiver, mais un éternel printemps, tel mon souvenir.

J’ai dix ans. Je suis chez ma grand-mère.
J’ai rêvé. Je me réveille.
Tout est là. Rien ne se perd de ce qui a été.

🌹

Adultes, je suis souvent retournée sur les lieux.
Longtemps la cage d’escalier a gardé la même peinture, verte, écaillée, diffusant dans l’atmosphère cette odeur très particulière que l’on ne retrouve plus aujourd’hui.
J’allais pour y humer ma nostalgie.
L’escalier, lui, n’a pas changé. Ni ses marches en bois ciré ni sa rampe patinée du passage indéfini des mêmes mains.

La dernière fois que je suis montée jusqu’à ce que nous continuerons d’appeler  » la maison de mémé « , le locataire actuel m’a ouvert sa porte après que je lui aie donné le motif de ma démarche.
Touché, il m’a invitée à revisiter les lieux.

Je n’ai pas reconnu la pièce principale tant elle me semblait petite en comparaison de mon souvenir.

L’âme de mémé n’y était plus.

Elle devait survoler le Plat Gousset, les jardins du parc Christian Dior, la haute ville, le marché couvert, ou le chemin des moulins.

À ma mémé chérie.

 

 

 

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