Et puis il y a la guerre avec la pulsion de vie plus forte que toutes les névroses réunies.

« Rien ne passe après tout si ce n’est le passant [ ]

C’est une chose au fond que je ne puis comprendre
Cette peur de mourir que les gens ont en eux
Comme si ce n’était pas assez merveilleux
Que le ciel un moment nous ait paru si tendre »

Louis Aragon


Enfant, pour s’endormir, elle se défendait de l’idée de la mort bec et ongles.
« Ils »(entendez dans ce ils les plus grands savants), trouveront bien un moyen de rendre la vie éternelle.
Elle était encore si petite que les semaines comptaient pour des mois et les mois pour des années. D’ailleurs, pensait-elle, seules les personnes très vieilles, au visage ématié recouvert de ces petites rigoles qui retiennent si bien les chagrins, aux mains noueuses, s’endorment un matin pour toujours.

Avec le temps, les premiers deuils familiaux, la pensée magique avait fini par se perdre au réel, et avec ce réel si présent, parfois pesant, la crainte de la mort qui revient telle l’ombre suit le corps quand le soleil n’est plus au zénith.

Ne plus avoir peur de la mort, c’est comme rouler en roues libres, sans freins, cheveux au vent. C’est avoir quinze ans.
C’est vivre plus intensément, plus légèrement aussi. C’est respirer mieux et plus profond.

La pulsion de vie est si proche de celle de la mort ( intrinsèquement mêlées dans leur essence), que la bascule peut se faire en échappant à l’analyse, au raisonnement.

Ne plus avoir peur de la mort c’est donc aussi prendre le risque de sauter dedans avant l’heure, par fragilité, par abandon de n’avoir pas su s’abandonner à la vie telle qu’elle s’offre à nous, rythmée par son balancier sur nos jours, oscillant entre joies et chagrins, frustrations et satisfactions.

Et puis il y a la guerre avec la pulsion de vie plus forte que toutes les névroses réunies.



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Ce petit paradis, ce pays merveilleux

Hâte de respirer ce délicat mélange
D’un soleil déclinant sous ses lueurs orange
Un écheveau tressé de tons et de parfums
L’air fleuri d’un coteau et de marins embruns.


La campagne est si proche… on peut voir de la mer
Les pommiers entourant la normande chaumière
On dirait d’un vaisseau la coque renversée
Que la mer en colère aurait là rejetée.


Ce petit paradis, ce pays merveilleux
Où le ciel et la mer se fondent en camaïeu
Où les pins se grandissent pour mieux toiser la mer
Où les gens se tapissent taiseux et solitaires.


Il est de ces endroits de suite reconnus
Où l’on se sent chez soi sans y avoir vécu
Les seules roches ici portent le nom de noires
Mais ne feront jamais d’ombre sur nos mémoires.

Elle s’applique !

Elle s’applique… à former ses lettres sur le papier. Avec la lenteur, l’attention et la concentration des écoliers qui peinent à ne pas entacher leur cahier du jour.

Quand l’écriture bataille, c’est le cœur des mots qui se retrouve être en arythmie.

Elle s’applique… à remettre de l’ordre dans ce qui a été bousculé, déplacé, égaré. Un sang neuf se mêle à l’encre des mots. Le rouge et le noir pulsent leurs maux aux mots.

S’en remettre : à la vie, au bon sens, aux hasards heureux.

Elle s’applique… à détacher les lettres pour donner toute l’envergure nécessaire au rassemblement qui donne sens.

Les mots sont comme les choses perdues de vue. Il faut aller les rechercher, rassembler les images qui les constituent, pister les encodages mémorisés.
Ce qui reste dans les profondeurs est bien gardé.
Une seule lettre peut permettre la visualisation, faire surgir du creuset de la mémoire le mot juste, celui qui fait sens, rassemble les égarés.

Le risque des mots, plus que l’amuïssement, l’évanouissement en leur propre silence, serait la perte de l’âme qui les anime, les constitue.

Elle s’applique… dans cette tâche à former les lettres qui feront mots, à s’abandonner. S’abandonner en confiance, tel le petit enfant à sa mère, au mystère de l’écriture dans ses consolations et ses résiliences.

Elle compte les ans, un peu à la manière des enfants, elle constate… pas assez de doigts à ses mains.

Ici, la présence tient lieu de trait d’union reliant deux mondes. C’est par elle que les saisons lui arrivent, même quand le temps s’est arrêté. Quelques fleurs dans un vase y suffisent.

Elle compte les ans, un peu à la manière des enfants, elle constate… pas assez de doigts à ses mains.

Reste le souvenir et les traces d’un passé. Les traces ne s’effacent jamais tout à fait.

Elle sourit…

Elle le nomme, elle l’appelle…

C’est par lui que les réponses à ses questions lui parviennent, claires et limpides ; la mort va droit au but, elle débarrasse les vivants de l’inutile.

Elle prend de la hauteur, elle glisse sur sa lumière.

Revient au présent.

D’une caresse douce et chaude, elle ravive le marbre froid, y laisse l’empreinte de ses doigts, puis s’enfuit très vite avant que la marque ne s’efface.

Murmure de la feuille au vent

Et ne savez-vous pas qu’il est des hyménées Que font sans nous au ciel les belles destinées ? 

Corneille


J’ai aimé ce murmure
celui de la feuille au vent
son tremblement
à l’appel du vaste

et la séparation
inévitable
programmée
qui pulse
au dôme du cœur
son retour impossible
laissant là sa connivence

substance
détachée
de son objet
à jamais

toute contenue
dans l’unique
extatique
instant

chuchotis
tendre
à mon oreille
hymne de vie
que cette
hyménée
dans son dernier
voyage.

Des matins sans chagrin

Des matins sans chagrin, des demains sans mémoire
Combien j’étais heureuse ! Tout ce temps sans savoir…
On ne nous apprend pas dans les livres d’histoire
Que le temps assassin brisera la confiance
Celle qui va de pair avec l’insouciance
Que le grain peut mourir sans même avoir levé
Bien avant que la faux n’ait été aiguisée
N’attends pas pour aimer que brûle ton flambeau
N’attends pas pour rêver que le temps soit au beau.