Pour ne pas se manquer

« La moindre fleur des prés apporte à l’abandonné le réconfort de son silence. »

Christian Bobin.

 

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À quel moment avons-nous perdu le don de parler aux fleurs, aux arbres, aux rivières ? À leur confier nos chagrins, nos joies, nos espérances ?

L’eau, le soleil, sont les nourritures de ceux qui vont partir. Le soleil paraît tellement plus éclatant, plus majestueux, à celui qui s’en va. Par deux fois j’ai vu de ceux-là, leurs yeux boire la lumière pour en garder la trace, pour l’amener jusqu’à cet ailleurs où la nuit s’éternise. Nous sommes déjà loin, quand le corps comprend, quand face à l’ultime il devance l’esprit, que la vie même, dans sa plus noble nudité, est notre bien le plus précieux.

Nous foulons, piétinons en aveugles la nature, ce jardin d’Éden avec ses délices. Les hommes ont abandonné à la nature leur spiritualité. Partout où la lumière se pose, il y a un ange qui sourit, et son regard sur nous est rempli d’infinies consolations.

La nature ne peut mourir, l’infini y repose. L’un dans l’autre, ils se nourrissent d’absolu et de beauté. Nous qui avons perdu cet émerveillement nous le retrouvons intact à l’instant ultime, dans une union presque totale, entre celui qui part et la vie qui le quitte.

Notre enfance nous rejoint, cette compagne que nous avions délaissée pour jouer au grand. Comment avons-nous pu oublier de regarder le ciel ?

C’est en se fermant que nos yeux s’ouvrent à nouveau, comme le font ceux des enfants, dans la candeur et la transparence, dans l’éblouissement du cœur. Tout se dit, s’écrit, aux deux extrêmes de la vie et c’est peut-être à ces deux périodes, très courtes mais très intenses, que nous savons sans plus avoir besoin de poser de questions.

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Un rêve


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Le son du violon ouvre sur la lumière

Les cordes sous mes doigts se sont mises à vibrer

La musique a jailli et ta voix familière

A cette mélodie s’est doucement mêlée.

 

Quel beau songe, mon fils, est venu m’habiter

Plus d’ombre sur mon cœur en cet instant de grâce

Le mémoire évanouie, délitée dans l’espace

Et l’amour qui remplit et prend toute la place.

 

Quand le ciel vient ainsi combler pour un instant

Du manque la béance en un rêve liant

D’une douce harmonie deux âmes à l’unisson

Fini et infini pour unique maison.

 

Une nuit un violon a fait son ouverture

La musique en fusion colmate les blessures

Projette sur les âmes une pluie de mystères

Puis dans un vibrato fait danser la lumière.

Le temps comme une pluie

 

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Le temps comme une pluie s’écoule tout de gris

En m’éloignant de vous me ramène vers lui

Les plaisirs ne sont plus à l’ordre de mes jours

Et mes rêves sont seuls à me parler d’amour.

 
Aussi même le jour en recherche de nuit

Fuyant le gai soleil j’aveugle mon esprit

Il faut jeter un sort sur les temps à venir

Pour garder les trésors chers à nos souvenirs.

 
Si de franchir le seuil il n’est pas parvenu

De cet amour, le deuil, ne sera pas vécu

La chambre des regrets restera entrouverte

Pour du cœur les secrets à l’esprit n’avoir perte.

 

Je ne sais plus très bien quand vous êtes venu

Vous blottir en mon sein tel un enfant perdu

Comme à la mort l’amour au temps singe l’effet

De pouvoir peser lourd bien qu’étant effacé.

 

Recueil  « Intemporel »

A la tangente du souvenir et de l’oubli

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Tout est là

À la tangente

Du souvenir et de l’oubli

Point minuscule

Et immense

Parfois éclipsé

Le temps d’une lune

Ou de deux ou de mille

Parfois émergé

À la vertical

Des sommets et des abrupts

Au rapprochement des lointains.

Tout est là

À la tangente

Du souvenir et de l’oubli

Insaisissable et indéfini

Perdu dans le vaste

Horizon qui s’échappe

Ou

S’attarde

Le temps d’un soupir

Brassant un air devenu plus léger.

L’amour qui transfigure

 

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Mon amour a rejoint l’amour qui transfigure

Le printemps éternel se joue du clair-obscur

De l’hiver glace et feu sous son miroir sans tain

De ces jours sans les rires où le regard s’éteint.

 

Mon amour a passé la barrière des mots

De soupirs en soupirs de berceaux en tombeaux

Mon amour a passé la porte aux neuf anneaux

Il a gagné les rives où germe le repos.

La porte

 

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La porte n’est pas un mur disait une petite voix qui semblait sortir de l’intérieur de la maison. Cherchait-elle à se rassurer voyant que le bois avait gonflé pendant la nuit ; une pluie battante en avait boursouflé jusqu’au dormant, bloquant ainsi sa possible ouverture.

Le temps passant, un tas de feuilles s’était agglutiné au seuil de la porte, puis des araignées avaient tissé leurs toiles, sans que personne ne s’en inquiète.

Combien de temps cela avait-il duré…

— On ne la voit jamais sortir dit une voix.

— Je crois même ne l’avoir jamais vue lui répondit une autre voix.

— Bah ! Cela n’est pas notre affaire conclurent en cœur les deux passantes.

La pluie avait cessé pourtant depuis belle lurette, il y avait même eu l’éclaircie d’un printemps, puis la brûlure de l’été sans que la porte ne soit ouverte. C’était comme si deux forces identiques la maintenaient close, deux vides à la volonté intacte de préserver une solitude.

Avec l’entêtement du temps à épuiser le passé, à bousculer le présent, sans page à tourner, la porte s’était un soir refermée sur la vie pour ne plus jamais s’ouvrir.

Aucun rejet du monde, aucun repli ni oubli, pas plus qu’un renoncement, plutôt une lassitude et une usure naturelle prenant des airs de résilience. La roche finit bien par se transformer en sable, le sable consolidé sous l’effet d’une sédimentation en grès, et le grès de s’effriter lui aussi sans savoir qu’il a été sable. Ainsi se font puis se défont les choses.

Inutile de tenter une sortie, d’ailleurs l’extérieur était devenu bien trop sombre ; sans regards les choses et les êtres finissent par s’absenter. Ne sommes nous pas les figurines d’une estampe vouée à s’effacer ?

En se refermant de façon définitive, la porte a balayé l’inutile, l’impossible, la tourmente d’un brin de folie qui s’étiole, rendant justice à l’implacable réalité.

Ici, derrière la porte, il ne restait qu’un rêve.

 

 

Comme une vague pleine

 

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Je vous ressens si bien se peut-il que mes sens

De votre âme aient volé toute la quintessence ?

Le rêve inachevé porte en lui l’infini

Et vous êtes le soir et l’aube de ma vie.

 

Ainsi en ce moment vous seriez près de moi

Que le ciel ne pourrait me donner plus de joie

Je rêve de matins tout frissonnants de fièvre

Sertis de fous baisers dont vous seriez l’orfèvre.

 

On ne peut négocier au ciel l’inexprimable

L’indicible se mire aux vasques bleues des âmes

Aux ailes des moulins précieux est le vent

Tel le rêve à la vie son souffle tout autant.

 

Comme une vague pleine attendue sur la grève

Comme la fleur saisie par la poussée de sève

Je vous ressens si bien se peut-il que mes sens

De votre âme aient volé toute la quintessence ?

Un étang quelque part…

 

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De l’étang montait un brouillard

Aucun soleil pour le percer

Et les grands arbres étêtés

Dans ce deuil voilaient leurs regards.

 

Le temps soudain comme arrêté

Tout attendait… le teint blafard

On ne sait plus s’il se fait tard

Ou si le jour vient de pointer.

 

Ni si le rose nénuphar

S’ouvre tout pleurant de rosée

Ou bien si la nymphe prépare

Son jupon vert à reposer.

 

L’homme a descendu la vallée

Il en connaît tous les détails

Chaque caillou et chaque faille

Chaque massif, chaque fourré.

 

Un écriteau perdu plus bas

D’un mauvais bois tendait son bras

Quelques trompettes sous le pas

Chantaient à l’étang le trépas.

 

Le sous-bois semblait le témoin

Discret du chagrin de l’humain

Pour l’avoir entendu souvent

Pleurer dans le vent son tourment.

 

De l’étang montait un brouillard

Aucun soleil pour le percer

Et les grands arbres étêtés

Dans ce deuil voilaient leurs regards.

 

Recueil Intemporel.

Dans la force tranquille d’un vent bienveillant, pas trop violent, juste pour se tenir là, au bon moment, sur le terrain propice à accueillir

« Cette floraison timide qui ne va pas jusqu’aux fleurs, cette échine vert-de-gris d’un muret, la flatter de la main, c’est faire entrer dans son cœur la pensée qui délivre de toutes les pensées, le consentement à vivre donc à perdre. »

Christian Bobin « LA NUIT DU CŒUR »

 

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Ce jour, je ne pensais pas avoir reçu de signes sauf que… sauf que…

La journée n’était pas terminée et le signe c’est par la parole de Christian Bobin qu’il m’est parvenu. L’écriture est d’abord une parole n’est-ce-pas ?

Qui d’autre pour parler mieux de la mort et de la possible résurrection ?

Cette phrase elle dit tout de nous, de la perte, de ce non renoncement à fleurir ou de la difficulté à refleurir. Peut-être parce que nous ne sommes pas de ces vivaces qui résistent aux intempéries de la vie. De ces fleurs qui reviennent chaque année toujours plus fortes, plus belles.

Brûlées par le soleil ou le froid, assoiffées ou frappées par la pluie, nous sommes de celles qui échappent rarement à l’anéantissement.

Fragilisées par l’épreuve et le temps, nous sommes telles ces annuelles dont quelques unes seulement résistent à leur hiver . Ce n’est pas une question de résistance, de chance ? peut-être… ou d’ une grâce du ciel ; comme de se ressemer sur un terrain prêt à accueillir, dans la force tranquille d’un vent bienveillant, pas trop violent, juste pour se tenir là, au bon moment, sur le terrain propice à accueillir.

Je dirai… (pardon Mr Bobin) le consentement à survivre à la métamorphose.

Il y a des fleurs qui ressemblent à des papillons.