
En ce temps-là être malade n’était pas si désagréable…
Cela présentait même des avantages, comme de manquer l’école, ou d’avoir à soi toute l’attention de maman.
Une brusque fièvre avait entamé son ascension durant la nuit. L’édredon ajouté à la couverture ne calmait en rien les frissons. Entre congestions et suées, le matin finit par arriver et avec lui maman le thermomètre à la main.
Ce dernier à mercure s’affolait. Maman avait beau le secouer frénétiquement, dans un mouvement de balancier d’avant en arrière, à chaque nouvelle prise il grimpait davantage vers le rouge.
La situation demandait une prise en main efficace.
Le médecin appelé, toute l’attention de maman se tournait vers moi. S’en suivait une toilette de chat pour la malade et un grand nettoyage de printemps pour la chambre. Faire la guerre aux microbes devenait sa priorité.
Maman s’affairait. Aération de la chambre et changement des draps du lit. Pour l’occasion j’avais droit de me glisser dans le grand lit des parents, entre les draps frais un peu rêches en lin.
C’est fou comme propre de partout on se sent déjà mieux.
Mais ce qui me faisait surtout aller mieux, c’était de le voir arriver… lui.
Je ne me souviens ni des traits de son visage ni de sa voix, sauf peut-être que cette dernière était douce.
Le docteur C. avait une élégance naturelle.
Il portait le plus souvent un costume de flanelle gris à fines rayures, ou un prince-de-galles.
Il venait s’asseoir sur le bord du lit, et ne manquait jamais de faire ce geste, qui tient particulièrement à la gent masculine, de pincer légèrement le pli du pantalon tout en le relevant, afin de ne pas marquer le tissu.
Le docteur C. avait de longues mains fines qu’il utilisait pour la palpation. Après avoir recourbé ses doigts, il pratiquait la percussion sur tout le thorax et l’abdomen. C’est seulement après qu’il sortait son stéthoscope pour écouter le cœur. Je me souviens très bien de la différence entre les mains fraîches sur la peau chaude et le froid métallique du stéthoscope.
Toujours assis sur le bord du lit, le docteur C. rédigeait son ordonnance. Jambes croisées, celle du dessus dans un balancement ample semblait suivre les courbes de son écriture.
Maman disait que nous faisions partie de ses premiers patients. S’en était suivi un attachement réciproque et le bon docteur revenait me voir autant qu’il le fallait, suivant ma guérison de très près. Mais à la réflexion, il devait faire cela avec tous ses patients.
Après les recommandations d’usage et une pichenette à ma joue, le docteur C. repartait, laissant derrière lui une petite fille qui allait déjà beaucoup mieux et une maman rassurée.