» ton coeur doit donc vivre en lui-même »
Stéphane Mallarmé
Sur la pointe des pieds, et non sans une certaine appréhension, Paul avait rejoint, depuis maintenant quelques années, la communauté Twitter.
Aucun engouement particulier pour ce réseau social, mais l’espérance secrète de retrouvailles.
Paul n’oubliait pas cette femme rencontrée lors d’une conférence sur le cancer.
L’attirance ne s’explique pas plus que le coup de foudre autrement que par l’évidence de l’autre.
« Si on me presse de dire pour quoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui, parce que c’était moi. » Montaigne
La projection fut immédiate. L’alchimie amoureuse partagée.
Ensuite il ne l’avait revue qu’une fois, une seule fois, mais la magie de nouveau avait opéré.
Les amours non vécus ne connaissent pas l’oubli.
Une rambleur lumineuse entourait son prénom, le souvenir qu’il avait d’elle s’immisçait dans les moindres recoins de sa pensée.
Secrètement Paul espérait que tout ne soit pas perdu, qu’elle apparaîtrait de nouveau dans sa vie, qu’il pourrait la suivre ici peut-être, au moins la lire.
Vouloir faire de son rêve un pressentiment.
L’attente est si cruelle aux âmes qui se cherchent ; et de ce temps perdu son visage est recherche.
Paul naviguait donc dans les eaux, tantôt claires tantôt troubles de Twitter, dans cette drôle de communauté, ce no man’s land ou le laid sans pudeur ni limite côtoie le beau, ou le meilleur frise avec le pire.
Un monde dans un monde où la pensée, devenue sans filtre pour certains, serait frappée de confabulation ou d’une désinhibition propre à l’anonymat peut-être, et dont la lésion toucherait la région frontale.
Pourtant le beau ne manque pas pour celui qui veut le voir.
La beauté, l’Art, la connaissance, voilà ce que Paul voulait retenir, partager, engendrer, engranger.
C’est dans cette allégorie, cette espace dentelé de poésie et de prose, qu’Elle est apparue ; nous la nommerons Hélène, elle se reconnaîtra.
Mystérieuse Aura de l’âme qui transfigure le corps, lui donne sa vraie beauté.
Ce rapprochement virtuel, sans le toucher ni la vue, cet accord des âmes avant celui des corps, cette alchimie du désir dans ses retranchements et projections, sans pouvoir d’abord le nommer ressemblait bien à de l’amour. Et si Paul le vivait comme tel, cet amour dans un premier temps cristal du cœur, enflammait son corps et son esprit, croissait jour après jour, jusqu’à être plus réel que le réel.
C’est dans le merveilleux que l’amour prend naissance.
Sans l’avoir vue, il l’attend.
Il l’attend, et dans cette attente
Tout le poids d’une mise au monde.