« Le bonheur naît du malheur, le malheur est caché au sein du bonheur » Lao-Tseu
« Le bonheur et le malheur ne signifient que bonne ou mauvaise heure. » Antoine de Rivarol

Serait-il possible de disposer d’un capital bonheur comme d’un capital soleil ?
Depuis quelques temps les revendications arrivaient de plus en plus nombreuses au bureau des pleurs.
Les humains avaient-ils épuisé leur capacité à prendre du recul face aux événements extérieurs et personnels ? Leur soif de bonheur ne semblait plus étanchée par les plaisirs simples. Il fallait toujours plus et mieux. A croire que le bonheur ne saurait être que relatif à celui des autres. On épiait son voisin: sa voiture, sa femme, sa situation (là, j’ouvre une parenthèse, ceci pouvant être mis dans un ordre différent). Les aiguilles de la boussole bon sens s’affolaient dangereusement. Jusque dans les radios on entendait: « Il est où le bonheur, il est où ? « .
Personne ne semblait plus se poser la question de savoir si le bonheur n’était pas juste une absence de malheur…
Il fallait que cela cesse !
Le grand horloger décida de remettre les pendules à l’heure.
Dorénavant, chaque être humain aura à la naissance un même capital « bonheur et malheur », d’abord par rapport à son semblable, mais aussi en équilibre dans sa propre vie. Ce sera à lui d’en gérer le stock, de faire les bons choix dans la distribution, là, résidera son libre arbitre.
Ainsi là-haut on n’entendra plus : La vie est injuste ! Certains ont vraiment plus lourd à porter que d’autres ! Mais que fait-il là haut ! Et si en plus il n’y a personne… Le ciel sera moins chargé de cumulus à revendications car maintenant c’est l’humain qui fait…
Il y aura bien des cigales et des fourmis, mais au final tout le monde devrait y trouver son compte.
Certains écouleront joies et plaisirs dans les premières années de la vie, rejetant l’avenir, se plaçant dans l’espérance d’un miracle de dernière minute. Ceux-là n’auront que leurs yeux pour pleurer.
D’autres, plus fourmis, seront précautionneux.
Isis était de cette dernière catégorie.
Dans sa sagesse, Isis se dit qu’il y avait de nombreux avantages à écouler le plus de malheurs possibles dans ces années où elle serait en pleine possession de ses forces physiques et intellectuelles.
Comme de se dire quand un malheur arriverait : un de moins. Ainsi, elle ne se lamentait pas sur sa malchance, consciente qu’elle verrait plus vite le bout du tunnel. Plutôt que de se focaliser sur son chagrin, elle anticipait l’avenir qui serait oh combien ! beau et lumineux.
Imaginez… une vieillesse sans maladies, avec toutes ses facultés et la possibilité de faire, enfin, tout ce dont on a rêvé. Un ciel toujours bleu, sans nuages.
Elle se voyait déjà voyager, apprendre la musique, écrire peut-être… tomber amoureuse, certainement. Bon, d’accord, sur le dernier point, il lui faudra trouver une personne qui en soit au même stade, ayant épuisé tous ses malheurs, mais l’amour n’a jamais été chose simple.
Isis tenait donc sa comptabilité avec le plus grand sérieux, tout à son désir d’écouler le plus de malheurs possibles et cela rapidement. Les années passaient et la balance penchait de plus en plus. Isis admirait son stock de bonheurs à venir. Elle était à présent bien loin de l’équilibre du début de la vie où les deux plateaux se trouvaient être sur le même niveau.
Pourtant très sage, Isis commençait à s’ennuyer, elle avait peu d’amis, les gens la fuyaient comme la peste, tout à leurs désirs de joies et de plaisirs immédiats. Le malheur n’est pourtant pas contagieux.
L’autre souci, auquel Isis n’avait pas pensé, c’est que le temps écoulé en malheurs serait à l’identique avec celui du bonheur. C’est ainsi qu’elle pouvait calculer presque au mois près le temps lui restant à vivre. A partir de ce moment, Isis se mit à économiser… quelques malheurs…