Un jardin à secrets

 » Ce qui nous sauve, ce sont les ruines de nos antiques confiances »

Christian Bobin

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Quand la vie chahute nos certitudes, nos fondements, nos valeurs, quand la peur fait de l’ombre à notre hardiesse, il reste dans un petit coin du cœur, un refuge intérieur, une grâce de l’enfance, une confiance qui perdure et protège le socle de la vie même. C’est un jardin propre à chacun, plus où moins débroussaillé, fleuri, cultivé, jardin à secrets rempli de cachettes, de labyrinthes, pour que puisse y glisser la mémoire, s’y perdre, se retrouver… se reposer.

 

 

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Naviguer dans le rien

 

Naviguer dans le rien

Loin des terres et des mers

Qui bordent toute vie

L’esprit en bandoulière

Traverser l’éphémère

Caresser l’infini.

 

Naviguer dans le rien

Se vider du trop plein

De l’au-delà des mots

Et de ces oripeaux

Qui encombrent les âmes.

 

Aux contours de l’immense

Suivre des yeux l’étoile

Écouter le silence

Dans le froissé des voiles

Où se déplie le temps.

Tout est là

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Tout est là

À la tangente

Du souvenir et de l’oubli

Un point minuscule

Et immense

Parfois éclipsé

Le temps d’une lune

Ou de deux ou de mille

Parfois émergé

À la vertical

Des sommets et des abrupts

Au rapprochement des lointains.

Tout est là

À la tangente

Du souvenir et de l’oubli

Insaisissable et indéfini

Perdu dans le vaste

Horizon qui s’échappe

Ou

S’attarde

Le temps d’un soupir

Brassant un air devenu plus léger.

À la frange du crépuscule

 

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À la frange du crépuscule

Aux nues brunies sous les embruns

Quand le vent court dans les grands pins

Et que les cimes se déciment

Au firmament qui se dessine

On perçoit dans un va-et-vient

Un chant qui monte du lointain

Quand lasse la mer se retire

Et que la grève nue s’étire

Laissant la vague à son chagrin

Et au jour bleui qui recule.

Un quatorze Juillet pas tout à fait ordinaire

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Ces débordements de liesse ne cachent-ils pas une désespérance ?

Par la petite lucarne ouverte sur le monde, des éclats de fête pénétraient la petite chambre mise dans la pénombre. Le soleil dardait ses rayons en cette mi-juillet et la température extérieure montait autant en degrés Celsius qu’en excitation humaine.

Nous étions le quatorze juillet au soir et déjà les Champs-Élysées avaient revêtu leurs habits de fête.

Malgré l’engouement général, Marie avait un regard extérieur en décalage avec l’importance de l’événement, car la liesse ne tenait pas tant au quatorze Juillet qu’au match attendu le lendemain : la fameuse coupe du monde de football.

Lors du concert donné au Champ-de-mars Marie se dit que les dames avaient de bien jolies robes, de ces robes dont rêvent les petites filles, et quand le violoncelliste Renaud Capuçon entama La liste de Schindler, la musique s’amplifiant de nostalgie de par ces notes mélancoliques, quelques larmes coulèrent le long de ses joues.

Une langueur pulsait au cœur de Marie les joies non partagées autrement que par procuration. Un peu de lassitude aussi opéra le retour vers un soir ordinaire et à l’abandon de la lucarne magique pour retrouver des occupations plus quotidiennes.

C’est que Marie ne pouvait s’empêcher de penser aux personnes dont la solitude gangrenait le cœur et combien elle devait leur peser encore davantage en ces jours de fêtes quand au dehors brillent pupilles et lumières. Aux pauvres gens les plafonds des maisons sont plus bas pour qu’il y ait moins d’espace entre eux et le ciel.

Marie prit son livre, d’ailleurs il ne lui restait plus que quelques pages pour terminer la lecture du roman commencé la veille. Et c’est dans cet isolement qui relie l’âme à l’être, dans cette cohérence retrouvée entre le dedans et le dehors et qui fait de l’isolement tout autre chose que de la solitude, qu’elle entendit les premières détonations du feu d’artifices.

C’est l’heure où le soleil tire sa révérence

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C’est l’heure où le soleil tire sa révérence

Derniers éclats du jour dans la chaleur qui danse

Avant que l’océan dans l’azur ne se fonde

Ne capture en ses bras la lumière du monde.

 

Le ciel devant la terre à cet instant s’incline

L’astre d’or et de feu dans son plus bel atour

Embrase de désir tous les yeux alentour

L’offrande de l’amant avant son désamour.

 

Jamais loin du doré l’heure bleue se dessine

Puis de rose l’estran à présent se praline

Les mystères du soir mettent au repos le corps

Que déjà en éveil l’âme se pare d’or.

 

N’attends pas que la nuit vienne tout recouvrir

Les ombres au crépuscule emportent loin les rires

Ton songe te devance il te faut le saisir

Les poètes finissent eux aussi par mourir.

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Je ne vous lis pas ! C’est vous qui me parlez

« Un grand auteur est celui dont on entend la voix dès qu’on ouvre l’un de ses livres. Il a réussi à fondre la parole et l’écriture. »

Michel Tournier.

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Je ne vous lis pas ! C’est vous qui me parlez !

Certains auteurs ont une voix qui portent bien au-delà des mots. La lecture d’un livre met en place tout un scénario. A partir de ce petit film intérieur, le lecteur devient metteur en scène sauf qu’il ne fait pas ce qu’il veut quand il connaît la voix de l’écrivain. Impossible d’en oublier le timbre, d’y substituer ses propres notes ou de faire parler les personnages sans être sous influence.

Lire un livre dont on connaît la voix de l’auteur, (soit qu’elle soit de nature très particulière, soit qu’elle nous touche pour toute autre raison… ) donne finalement à l’œuvre une petite musique qui ne tient plus seulement au style de l’écriture, à l’histoire même, à ses personnages, mais à l’intrusion d’une réalité dans l’histoire, comme une couleur supplémentaire sur une toile qui resterait inachevée sans son glacis final.

Prenons comme exemple Jean d’Ormesson, qui imprègne de sa voix tous ses ouvrages. Voix au timbre si particulier, enchanteur, aux mille couleurs.

Avec Amélie Nothomb c’est la même chose. Sa voix s’invite chez nous sitôt le livre ouvert. Impossible de ne pas reconnaître ces tonalités à la tessiture unique et ce tourbillon musical qui s’accrochant sur l’écriture s’enroule avec. Le tout guidant le lecteur, tout au long de la lecture, encore davantage dans son univers.

La voix ne doit pas pour autant devenir une hantise. Il faut pouvoir investir les personnages de voix inconnues, sorties tout droit de l’imaginaire. Ainsi la « Madame Bovary » de Flaubert aura autant de voix différentes que de lecteurs, sans pour autant qu’on en sache davantage sur la voix que lui donna Flaubert en écrivant son roman. Quant à la voix de Flaubert, je l’imagine chaude et grave, assez puissante.

Les mots écrits ont leurs sons propres. Il serait bien difficile de les faire taire quand la zone de reconnaissance visuelle et celle du langage sont d’ une situation proche, même si distincte. Ainsi les connexions entre aires auditive et visuelle sont très étroites. De la même manière, des lésions sur l’une ou l’autre de ces aires ou sur les circuits adjacents à ces aires peuvent entraîner une déficience, de la compréhension orale ou de la lecture, parfois des deux.

Un soir de forte chaleur

 

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Les fleurs, qui avaient souffert durant le jour, penchaient dangereusement la tête en direction du sol, mais Marie ne se sentait pas la force d’un arrosage. Elle se demandait si les fleurs lui en voudraient, elles étaient devenues si fragiles de par leur dépendance à la main de l’homme. Les délicats arômes dégagés par certaines la rassurèrent sur ce point.

Le soir et la chaleur tombèrent d’un même accord pendant que les derniers rayons ocrés  délitaient le restant de bleu. Marie à cet instant aurait voulu tout retenir. Sa silhouette gracile se fondait entre les ombres et les silences. Le jardin coiffé de nuit avait posé sur ses épaules son étole parfumée de mystère.

A présent la chaleur de la journée semblait flotter dans l’invisible. Un fil conducteur la reliait avec les êtres et les choses. Marie ne faisait plus qu’un avec tout ce qui constituait son environnement :  fleurs et  arbres,  mais aussi jusqu’à l’herbe qu’elle sentait délicieusement fraîche sous ses pieds nus.

Un léger frisson caressa sa peau, comme une réminiscence des choses aimées et peu à peu oubliées.

Le temps en ce moment était bien suspendu, elle l’aurait aimé éternel.

Marie bougea à peine quand la lune éclaira son visage. Les fleurs reprenaient souffle tandis que le sien s’évanouissait vers un ailleurs au commencement sans fin.

 

Le monde aussi cille du regard

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Le monde aussi

Cille du regard

Toujours ce mouvement

Accepter que tout change

Que se meuvent en absence

Les rires des enfants

 

Quand bien même le temps

Fatigué du voyage

Ne s’étonnerait plus

Du poids qu’il donne aux ans

Ni des jours et des nuits

Où court toute vie

 

Quand bien même le temps

Enroulé sur lui-même

Que d’avoir trop tourné

S’arrêterait de couler

Il resterait l’empreinte

Au creuset de mes veines

De ce point d’infini

Qui lui jamais ne tremble.