Certains êtres traversent la vie pourvus d’oeillères. On pourrait dire d’eux qu’ils sont » nés comme ça « . Ces heureux contemplent le monde avec cette faculté de ne fixer que le beau, dans ce temps de vie qui leur est imparti.
Ces initiés à la beauté voit le monde dans toute sa bienheureuse harmonie.
Une certaine candeur les habite, d’aucuns penseront un angélisme.
Ton corps d’argile Son feuilleté de lune Sa soif de désert Ton âme sage Du seul contentement D’être en vie.
À regarder le ciel, tout ne nous est-il pas déjà donné ?
Les rôles jamais renversés Jusqu’à la fin tu es restée La mère prenant soin de moi Avec ton amour plein les bras. Ce que je suis, je te le dois Et si je n’ai pas su t’aimer Assez, assez, assez, assez C’est encore toi qui de ton ciel En te penchant à mon oreille Ces nuits où le cœur prend le froid Sur l’enfant que je suis restée… Viens ici pour me consoler.
Bien sûr vous ne pouviez rien faire Bien sûr ma cause était perdue Rien ! ni suppliques, ni prières Ne peuvent en or changer le fer Il faut un vainqueur, un vaincu Qui a gagné, qui a perdu ? Cela aussi reste un mystère À voyager en plein transfert On ne sait plus si le brouillard Est dans la tête ou dans les phares Maintenant que l’eau a coulé Sans que le cœur ne soit noyé Il pleure beau sur mon chagrin Quand il est mêlé de lumière Le rideau formé du crachin Semble sortir du réverbère Et l’illusion a ses raisons D’avoir à servir nos passions.
Au temps du coquelicot… déballer le cadeau de la vie.
Biologiquement nous sommes vivants parce que nos cellules se renouvellent en constituant leur propre matière vivante, mais pour que notre âme puisse vibrer de vie, il lui faut se nourrir de tout ce qui ne dépend pas de la simple matière du corps, investir par la pensée sensible le mystère qui l’entoure en passant par la beauté : de celle de l’art à celle de la nature, mais aussi de la connaissance initiée par la science.
Avec juste une impression, celle de voler par l’écriture du temps au temps.
Le temps finit toujours par œuvrer sur l’instable. Il sait très bien ce qu’il a à faire, ce temps ; tantôt figeant un événement, tantôt le faisant disparaître dans un amuïssement.
Son ordre croît sur nos désordres, implacable dans sa détermination. Aucune autre échappée au temps que ces métastases sur nos vies qui viennent se fixer, en dates indélébiles, sur notre mémoire.
Le temps serait-il sujet à l’immortalité comme ces cellules qui ont oublié de mourir ?
Pourtant tout croît pour disparaître, c’est la règle ici-bas.
Passons sur ce temps qui nous afflige plus qu’il nous console.
Nourissons-le de rêves, de poésie, et de musique. Contraignons-le à en suivre les rythmes.
Immersion en la source. Au commencement était le veŕbe : eden poétique, saison enchantée, souffle printanier, aube coiffée de rose.
Les écrits et leurs cris viendront plus tard pour revêtir nos émotions.
S’ils empruntent les mêmes canaux, les mêmes îlots du cœur, chagrins et joies ne sont pas interchangeables. Ils ne font que croiser leurs différences, toiser leurs lointains.
Il faut imaginer un tableau aux couleurs des événements heureux et malheureux que la vie nous réserve.
Très vite la toile vierge des débuts se teinte, se marque aux couleurs du temps. Du pastel de l’enfance aux flamboyants rouge-orangé des jours heureux jusqu’au sépia nostalgique des jours plus sombres, tous s’avoisinent sans se fondre.
« Les lettres arrivent toujours à leur destinataire, même quand on ne les envoie pas, ou que leur destinataire n’est plus. »
Christian Bobin
Tant et tant de messages, lettres, mots griffonnés, durant toutes ces années. Quand le destinataire n’est plus, il n’y a qu’une seule adresse, cachée dans un coin de bleu, là où dansent les vagues et s’écartent les nuages pour rejoindre l’infini. Ces mots finissent en phrases, parfois en missives, mais toujours bien à l’abri dans leur armure de papier. Ils dorment ainsi, couchés, le plus souvent sur des cahiers numérotés par année, puis empilés dans un coin de chambre.
Au début de cette année, je t’ai prévenu : je viendrai dorénavant moins souvent poser mes mots au creux de ton oreille ; de cette oreille, que tu avais absolue. Peu importe, d’ailleurs les morts n’ont pas d’oreilles, cela ne les empêche pas de nous entendre avec leur âme.
Plus de dix ans à t’écrire chaque soir. Cette fois, j’ai réussi à espacer. Je ne sais pas si c’est bien ou pas, c’était le moment, c’est tout. A présent, je me pose la question si je dois tout brûler, c’est tellement intime les mots d’un âme à une autre âme. Tu comprends, je ne voudrais pas qu’elle tombe dans n’importe quelle main cette drôle de correspondance, qui n’en est pas vraiment une, quand je ne serai plus là. J’ai bien essayé de faire un résumé année par année et puis les poèmes sont venus. C’est plus lumineux les poèmes, plus doux aussi, ça dit les choses en maintenant de la distance, même le malheur et la tristesse gagnent en clarté.
L’écriture est un pont qui relie les êtres, mais aussi les mondes, ceux du connu et de l’inconnu, du fini et de l’infini. Cette écriture là n’attend pas de réponse, elle s’offre au vent, au soleil et à la pluie, à l’oiseau et à l’enfant dans son sommeil.
Ce soir, je sais que je vais t’écrire. J’ai beaucoup de choses à te dire, de bonnes et de moins bonnes, comme va la vie.