
🎨 Bernard Buffet » L’enterrement »
En quittant sa maison, Faustine était loin d’imaginer ce qu’elle y trouverait à son retour.
Ces dernières heures la maison transpirait un air lourd, inhabituel. Des voix basses, chargées, presque étouffées, remplissaient tout l’espace.
Parents, amis, voisins, tous étaient venus réconforter Faustine, mêlant leurs larmes aux siennes, leurs mots usés à sa fatigue.
Tant qu’ils étaient tous là, un étranger n’aurait rien pu deviner de ce qui se jouait à l’intérieur. Les choses restaient à leur place, les murs de la maison ne suintaient pas encore le silence et l’absence. Le changement sourdait pourtant, battant sa mesure et le temps en égrenait le chapelet.
On avait tiré les rideaux. Le soleil brûlant de cette fin d’août était à lui seul un outrage à la mémoire, au recueillement. Quelques fentes oubliées dispensaient une lumière à glisser sur les chagrins, à défaire l’ombre du deuil.
Les hommes s’échangeaient déjà leurs souvenirs communs avec le disparu, pendant que les femmes s’affairaient autour des tenues couvrantes, trop chaudes pour la saison, les plus âgées cachant leurs yeux rougis sous de grands voiles de crêpe noir.
Puis l’on s’était mis en marche sous un soleil de plomb.
Quand la procession arriva près du tournant, là où la route plonge sur le cimetière, Faustine se retourna pour apercevoir une derniere fois sa maison dans la lumière de l’été. Il lui sembla la regarder pour la première fois.
Après la cérémonie, les dernières condoléances, les promesses de se revoir très vite, Faustine avait fait le chemin à l’envers avec la hâte de ceux que la vie ne retient pas.
Comme pour mieux accompagner son humeur, le ciel s’était brutalement couvert et même quelques nuages menaçaient un début d’orage.
De retour dans la maison, elle avait très vite expérimenté le poids du silence. Rien à voir avec celui que l’on choisit, celui-là était criant, il avait vraiment quelque chose à lui dire.
Faustine n’en revenait pas ! Tout autour d’elle avait pris une autre dimension. Les objets aussi semblaient avoir absorbé le silence, mais sans l’ivresse, le vertige.
La mort lui sauta alors au visage, plus encore que l’absence, par la non présence définitive qui flottait ici, jusque dans l’air respiré.
Elle pensa soudain à ces trous noirs qui absorbent les étoiles et toute la matière qui s’approche trop près. Était-ce cela le but de la vie ?
Faustine à cet instant manqua de courage.
Elle s’assit, sans prendre le temps de se dévêtir, sur la première chaise à sa portée.
Pourquoi résister… Jusqu’à cette minute elle avait tenu devant tous, droite, un peu fermée, pouvant paraître hautaine. C’est qu’elle avait agit telle une automate, avançant serrée dans la gaine du malheur même, et ravalant son chagrin. Le corps sait très bien mettre l’esprit à l’abri quand la situation est trop extraordinaire pour être supportée.
Mais là, devant le chemin à parcourir, face à cette solitude, aux choses toutes simples à réapprendre, ses larmes se mirent à couler.