L’enfant / La mère

De cette âme limpide
Aucun mystère
À percer
Les secrets de la vie
Sont gouttes de rosée.

Premier matin
Toujours renouvelé
Tant que les ombres

Portées par l’homme
N’auront touché

Du berceau

La lumière.

Un enfant naît
L’éternité
Toute contenue
Dans la paume
De sa main
Refermée
Sur le monde.

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Le médium

Rose regarda sa montre. Cette fois il lui était impossible de reculer.


Un dernier regard au miroir… pas sympa cette mine défaite qu’il lui renvoyait ; la nuit avait été quelque peu agitée.
Elle releva dans un geste machinal le col de son chemisier, un bien pauvre rempart de textile ; nos abris sont si fragiles.
Ce rendez-vous, elle l’avait pensé, rêvé, bercé tant de fois, il en était devenu une priorité, une réalité.


Il y avait eu de l’attente avant de l’obtenir, plusieurs mois. Plusieurs mois à cogiter sur ce qu’elle devait dire, ne pas dire, sur ce qu’elle espérait recevoir.


– Vous savez, nous ne décidons de rien, nous ne sommes que des intermédiaires, des passeurs. Ils ne viennent pas toujours. Vous pouvez prendre avec vous un magnétophone, si vous souhaitez enregistrer la séance.

Mystérieuse joie !

Les plus belles joies sont celles que l’on n’attend pas.

 » Et si vous allez quêter la joie, faites d’abord provision de joie. Remerciez avant d’avoir  reçu. « 
Alain.  » Propos sur le bonheur »

« J’ai décidé d’être heureux, parce que c’est bon pour la santé »
Voltaire

Plus proche de moi, maman disait :
« Joie et bonne humeur ferment la porte au nez du docteur. »

Et aussi :  » Rien ne me touche, rien ne me blesse, rien ne me désespère « 

Maman était une philosophe qui s’ignorait.

Les plus belles joies sont celles que l’on n’attend pas, qui s’emparent et élargissent un quotidien.
Ce sont les imprévisibles, les inconnues.
Celles qui font voyager sans avoir à quitter sa place.

Au piano

L’envol
Impromptu
Improbable
Musique et éther
Même fluidité
Vibrations portées
Hors du temps
Au plus haut
Le toucher se joue des obstacles
Les doigts ne pensent plus les notes
La grâce
Par le corps effacé
Âme et musique
Face à face.



















C’était un jour en mai

La gare
Aux regards
Emmurés
Retient
À regret
Ses rêves
Voyageurs.

Une seule et même gare… et tous ces départs…

« Mourir comme un chien »

On ne sait rien de ta mort sauf que c’était en Mai.

–  » Tu ne sais même pas la date de la mort de ton frère ? « 

Tout à coup paniquée d’avoir perdu ton dernier message, j’ai recherché des indices dans mon vieux téléphone.

« Mourir comme un chien « 

Notre mémé chérie avait cette expression pour parler d’une personne qui part seule, sans personne pour lui tenir la main.

Ton dernier message date du 14 mai, date anniversaire de notre mémé.

Mon grand frère.

On ne saura jamais, ni la date exacte, ni l’heure, ni comment. Cette approximation !
Les médecins ont dit : c’est le coeur.

Maintenant c’est moi qui vis avec « mes morts », porte vers les autres leur mémoire.
Ne pas en parler, c’est les faire disparaître encore plus profondément ; la mort n’en finit pas de creuser sa fosse.

Oui, je ressemble beaucoup à notre mémé chérie.

Demain je vais parler de notre Blaise…

Le 25 mai nous avons appris ta mort.

« Mourir comme un chien »




« Que la vie en vaut la peine » et l’écriture aussi…



Que la vie en vaut la peine
Aragon

C’est une chose étrange à la fin que le monde
Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit
Ces moments de bonheur ces midi d’incendie
La nuit immense et noire aux déchirures blondes

Rien n’est si précieux peut-être qu’on le croit
D’autres viennent ils ont le cœur que j’ai moi-même
Ils savent toucher l’herbe et dire je vous aime
Et rêver dans le soir où s’éteignent des voix

D’autres qui referont comme moi le voyage
D’autres qui souriront d’un enfant rencontré
Qui se retourneront pour leur nom murmuré
D’autres qui lèveront les yeux vers les nuages

Il y aura toujours un couple frémissant
Pour qui ce matin-là sera l’aube première
Il y aura toujours l’eau le vent la lumière
Rien ne passe après tout si ce n’est le passant

C’est une chose au fond que je ne puis comprendre
Cette peur de mourir que les gens ont en eux
Comme si ce n’était pas assez merveilleux
Que le ciel un moment nous ait paru si tendre

Oui je sais cela peut sembler court un moment
Nous sommes ainsi faits que la joie et la peine
Fuient comme un vin menteur de la coupe trop pleine
Et la mer à nos soifs n’est qu’un commencement

Mais pourtant malgré tout malgré les temps farouches
Le sac lourd à l’échiné et le cœur dévasté
Cet impossible choix d’être et d’avoir été
Et la douleur qui laisse une ride à la bouche

Malgré la guerre et l’injustice et l’insomnie
Où l’on porte rongeant votre cœur ce renard
L’amertume et
Dieu sait si je l’ai pour ma part
Porté comme un enfant volé toute ma vie

Malgré la méchanceté des gens et les rires
Quand on trébuche et les monstrueuses raisons
Qu’on vous oppose pour vous faire une prison
De ce qu’on aime et de ce qu’on croit un martyre

Malgré les jours maudits qui sont des puits sans fond
Malgré ces nuits sans fin à regarder la haine
Malgré les ennemis les compagnons de chaînes
Mon Dieu mon Dieu qui ne savent pas ce qu’ils font

Malgré l’âge et lorsque soudain le cœur vous flanche
L’entourage prêt à tout croire à donner tort
Indiffèrent à cette chose qui vous mord
Simple histoire de prendre sur vous sa revanche

La cruauté générale et les saloperies
Qu’on vous jette on ne sait trop qui faisant école
Malgré ce qu’on a pensé souffert les idées folles
Sans pouvoir soulager d’une injure ou d’un cri

Cet enfer
Malgré tout cauchemars et blessures
Les séparations les deuils les camouflets
Et tout ce qu’on voulait pourtant ce qu’on voulait
De toute sa croyance imbécile à l’azur

Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle
Qu’à qui voudra m’entendre à qui je parle ici
N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle

*****
« Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit »

Qu’importe au final. Nous ne pourrons pas corriger, de là où nous serons, si nous sommes mal compris.
Et ceux qui nous liront, qui nous interpréteront, feront parfois frémir jusqu’à nos silences.
Ils y mettront ce bruit qui froisse le papier, coule sur l’encre comme pluie sur le verre, ils y mettront de la couleur ou ce gris indécis des mers sans rivage. La page transformée, sinon la pensée, spoliée de son essence première.

J’ai toujours craint ces interprétations
post-mortem, ces autopsies de l’âme. Le danger est grand de glisser de sa pensée dans celle de l’autre, de la phagocyter. Celui qui écrit, qui pose ses mots, connaît ce risque, sans le calculer il l’accepte. La chose, une fois lancée, ne lui appartient plus entièrement ; elle s’affranchit déjà au regard du lecteur.








Les signes se font-ils cygnes ?

Aux cœurs bien à l’abri nul danger à la ronde
La foule est un bon choix pour se cacher du monde
Si les gens les bousculent, ils se rapprochent encore
Et de leurs mains qui brûlent ils assoiffent leur corps.
Pas besoin d’océan, le bleu baigne leurs yeux
L’infini est dedans puisqu’ils sont amoureux
Que de bruit tout autour, elle n’entend que sa voix
Et même ses silences ont un écho de joie.
Elle allonge son pas pour rester dans le sien
Marcher en harmonie tout au long du chemin
À l’époque où amour était au féminin
Il l’aurait devinée quand elle prit sa main.
Une mélancolie, un pincement de lyre
Un conte délaissé qui ne peut donc finir
Les signes se font-ils cygnes pour se choisir
Les âmes corps humains pour s’aimer et s’unir ?