Rose regarda sa montre. Cette fois il lui était impossible de reculer.
Un dernier regard au miroir… pas sympa cette mine défaite qu’il lui renvoyait ; la nuit avait été quelque peu agitée. Elle releva dans un geste machinal le col de son chemisier, un bien pauvre rempart de textile ; nos abris sont si fragiles. Ce rendez-vous, elle l’avait pensé, rêvé, bercé tant de fois, il en était devenu une priorité, une réalité.
Il y avait eu de l’attente avant de l’obtenir, plusieurs mois. Plusieurs mois à cogiter sur ce qu’elle devait dire, ne pas dire, sur ce qu’elle espérait recevoir.
– Vous savez, nous ne décidons de rien, nous ne sommes que des intermédiaires, des passeurs. Ils ne viennent pas toujours. Vous pouvez prendre avec vous un magnétophone, si vous souhaitez enregistrer la séance.
Les plus belles joies sont celles que l’on n’attend pas.
» Et si vous allez quêter la joie, faites d’abord provision de joie. Remerciez avant d’avoir reçu. « Alain. » Propos sur le bonheur »
« J’ai décidé d’être heureux, parce que c’est bon pour la santé » Voltaire
Plus proche de moi, maman disait : « Joie et bonne humeur ferment la porte au nez du docteur. »
Et aussi : » Rien ne me touche, rien ne me blesse, rien ne me désespère «
Maman était une philosophe qui s’ignorait.
Les plus belles joies sont celles que l’on n’attend pas, qui s’emparent et élargissent un quotidien. Ce sont les imprévisibles, les inconnues. Celles qui font voyager sans avoir à quitter sa place.
Au piano
L’envol Impromptu Improbable Musique et éther Même fluidité Vibrations portées Hors du temps Au plus haut Le toucher se joue des obstacles Les doigts ne pensent plus les notes La grâce Par le corps effacé Âme et musique Face à face.
La gare Aux regards Emmurés Retient À regret Ses rêves Voyageurs.
Une seule et même gare… et tous ces départs…
« Mourir comme un chien »
On ne sait rien de ta mort sauf que c’était en Mai.
– » Tu ne sais même pas la date de la mort de ton frère ? «
Tout à coup paniquée d’avoir perdu ton dernier message, j’ai recherché des indices dans mon vieux téléphone.
« Mourir comme un chien «
Notre mémé chérie avait cette expression pour parler d’une personne qui part seule, sans personne pour lui tenir la main.
Ton dernier message date du 14 mai, date anniversaire de notre mémé.
Mon grand frère.
On ne saura jamais, ni la date exacte, ni l’heure, ni comment. Cette approximation ! Les médecins ont dit : c’est le coeur.
Maintenant c’est moi qui vis avec « mes morts », porte vers les autres leur mémoire. Ne pas en parler, c’est les faire disparaître encore plus profondément ; la mort n’en finit pas de creuser sa fosse.
Mon printemps insoumis j’ai dû quitter ces lieux Sans attendre l’été, tristes sont les Adieux Sur la terre en jachère on voit des floraisons Aux rimes qui se croisent, enlacent leurs blasons.
C’est une chose étrange à la fin que le monde Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit Ces moments de bonheur ces midi d’incendie La nuit immense et noire aux déchirures blondes
Rien n’est si précieux peut-être qu’on le croit D’autres viennent ils ont le cœur que j’ai moi-même Ils savent toucher l’herbe et dire je vous aime Et rêver dans le soir où s’éteignent des voix
D’autres qui referont comme moi le voyage D’autres qui souriront d’un enfant rencontré Qui se retourneront pour leur nom murmuré D’autres qui lèveront les yeux vers les nuages
Il y aura toujours un couple frémissant Pour qui ce matin-là sera l’aube première Il y aura toujours l’eau le vent la lumière Rien ne passe après tout si ce n’est le passant
C’est une chose au fond que je ne puis comprendre Cette peur de mourir que les gens ont en eux Comme si ce n’était pas assez merveilleux Que le ciel un moment nous ait paru si tendre
Oui je sais cela peut sembler court un moment Nous sommes ainsi faits que la joie et la peine Fuient comme un vin menteur de la coupe trop pleine Et la mer à nos soifs n’est qu’un commencement
Mais pourtant malgré tout malgré les temps farouches Le sac lourd à l’échiné et le cœur dévasté Cet impossible choix d’être et d’avoir été Et la douleur qui laisse une ride à la bouche
Malgré la guerre et l’injustice et l’insomnie Où l’on porte rongeant votre cœur ce renard L’amertume et Dieu sait si je l’ai pour ma part Porté comme un enfant volé toute ma vie
Malgré la méchanceté des gens et les rires Quand on trébuche et les monstrueuses raisons Qu’on vous oppose pour vous faire une prison De ce qu’on aime et de ce qu’on croit un martyre
Malgré les jours maudits qui sont des puits sans fond Malgré ces nuits sans fin à regarder la haine Malgré les ennemis les compagnons de chaînes Mon Dieu mon Dieu qui ne savent pas ce qu’ils font
Malgré l’âge et lorsque soudain le cœur vous flanche L’entourage prêt à tout croire à donner tort Indiffèrent à cette chose qui vous mord Simple histoire de prendre sur vous sa revanche
La cruauté générale et les saloperies Qu’on vous jette on ne sait trop qui faisant école Malgré ce qu’on a pensé souffert les idées folles Sans pouvoir soulager d’une injure ou d’un cri
Cet enfer Malgré tout cauchemars et blessures Les séparations les deuils les camouflets Et tout ce qu’on voulait pourtant ce qu’on voulait De toute sa croyance imbécile à l’azur
Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle Qu’à qui voudra m’entendre à qui je parle ici N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci Je dirai malgré tout que cette vie fut belle
***** « Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit »
Qu’importe au final. Nous ne pourrons pas corriger, de là où nous serons, si nous sommes mal compris. Et ceux qui nous liront, qui nous interpréteront, feront parfois frémir jusqu’à nos silences. Ils y mettront ce bruit qui froisse le papier, coule sur l’encre comme pluie sur le verre, ils y mettront de la couleur ou ce gris indécis des mers sans rivage. La page transformée, sinon la pensée, spoliée de son essence première.
J’ai toujours craint ces interprétations post-mortem, ces autopsies de l’âme. Le danger est grand de glisser de sa pensée dans celle de l’autre, de la phagocyter. Celui qui écrit, qui pose ses mots, connaît ce risque, sans le calculer il l’accepte. La chose, une fois lancée, ne lui appartient plus entièrement ; elle s’affranchit déjà au regard du lecteur.
Aux cœurs bien à l’abri nul danger à la ronde La foule est un bon choix pour se cacher du monde Si les gens les bousculent, ils se rapprochent encore Et de leurs mains qui brûlent ils assoiffent leur corps. Pas besoin d’océan, le bleu baigne leurs yeux L’infini est dedans puisqu’ils sont amoureux Que de bruit tout autour, elle n’entend que sa voix Et même ses silences ont un écho de joie. Elle allonge son pas pour rester dans le sien Marcher en harmonie tout au long du chemin À l’époque où amour était au féminin Il l’aurait devinée quand elle prit sa main. Une mélancolie, un pincement de lyre Un conte délaissé qui ne peut donc finir Les signes se font-ils cygnes pour se choisir Les âmes corps humains pour s’aimer et s’unir ?