Elle le regarde ! Le coude appuyé sur la table, le buste incliné en avant comme pour réduire la distance qui les sépare. La tête se penche légèrement sur le côté, attentive, dans un geste d’abandon.
Elle le regarde ! Et ne voit plus rien tout autour. L’espace semble se réduire comme pour mieux les enserrer l’un à l’autre.
Elle le regarde ! Elle l’écoute et le regarde, et son regard se fait écoute, tant elle ne veut rien perdre, tout enregistrer, par tous les sens retenir, absorber ce qui pourrait se défendre d’exister, comme on le fait d’une lecture quand les mots ont une voix, juste pour soi, dans son intimité.
Elle le regarde ! Son élégance, ce charme naturel que seul donne l’esprit.
Elle le regarde ! Ne veut pas rompre la magie. Elle se sent petite, toute petite, puis soudainement immense quand c’est lui qui la regarde.
Elle le regarde ! Sa main frôle sa main, sa voix est caresse.
Elle le regarde ! Son inconnu, dans l’instant reconnu .
Nous ne refaisons rien Nous continuons À cloche-pied Un peu plus las Un peu plus lourd D’incertitudes En certitudes Dans l’espérance Que rien n’est vain Ni nos commencements Sans fin Ni nos couronnements Empêchés Et si le chemin Seul à se faire Vers l’autre versant Gardait de nous De nos pas Sans cautèle Un peu de nos empreintes ?
C’est en voyant le visage lisse du nouveau-né, non marqué des souffrances de la naissance, que sa mère, amoureuse de musique et de poésie, décida que ce prénom irait à merveille à la petite fille.
L’officier d’état civil avait levé des yeux interrogatifs vers le père avant d’enregistrer le prénom. – Ma première Mélodie lui avait-il dit dans un sourire.
Mélodie grandissait harmonieusement. Le bébé tranquille avait évolué en petite fille sage puis en une jeune fille douce et paisible, sans que rien ne vienne troubler cette félicité.
Aucun chagrin, aucun nuage, pour venir assombrir l’expression insouciante du non-savoir.
Mélodie se bercait de sons, d’images. Son imagination débordante l’emportait souvent très loin des limites de la propriété, de ces lieux qui retenaient si bien l’enfance.
L’évasion par le rêve, ses labyrinthes secrets, ses mystères, ou réel et imaginaire se croisent, se toisent, se télescopent parfois, s’interpellent souvent, nourris par les livres de la grande bibliothèque.
Si le tumulte extérieur avait pu arriver jusqu’à elle, il l’aurait effleurée à peine tant la sérénité de son âme la protégeait des vicissitudes du monde.
Mélodie semblait traverser la vie comme le soleil d’avril traverse la feuille encore tendre, tout en transparence, sans la blessure, abandonnant au cannelé de ses bords un peu de sa lumière céleste.
Si elle ne connaissait pas de ces joies extrêmes qui emportent tout, laissant désolation et tourments si elles viennent à quitter le cœur élu, le destin l’avait préservée des grands malheurs qui fracassent l’insouciance, scindant la vie en un avant et un après impossible à réunir.
Comme une ombre sur l’âme qui n’existe que par sa lumière, Mélodie savait que cet état de grâce ne pourrait perdurer une fois qu’elle serait confrontée au monde extérieur.
C’est pourquoi elle restait bien à l’abri dans sa jolie bulle.
Son monde était si peu de ce monde.
C’est peut-être cela la poésie… Une bulle irisée par de fragiles arcs-en-ciel.
Dans le non-savoir je puise à l’insouciance de l’enfant poète
Avant que le temps ne s’immobilise, boire à la lumière du ciel ce nouveau jour qui pleut.
À trop m’être approchée du ciel De ses merveilles Je me suis perdue dans la nue Sans retenue J’ai bu l’amère déraison De la passion Quand mes lèvres se sont bleuies De paradis La fièvre infusait à mon corps Naissance et mort.
L’extrême pudeur D’un amour Qui se restreint Faute de ne pas avoir Trouvé sa place Dans ce monde De n’avoir su Se garder Des débordements Des emportements De l’amour fou.
Renoncement D’un cœur fidèle Où êtes-vous Amours anciennes Qui débordiez De sentiments Vous qui avez Dans les secrets Des alcôves Instruit Tant de poètes.