Ce qui ne peut s’écrire dans les livres
L’oiseau le trace dans le ciel.
Ce qui ne peut s’écrire dans les livres
L’oiseau le trace dans le ciel.
Le fil qu’elle pensait pouvoir débobiner puis rembobiner à sa guise venait de casser net. Plus personne pour en tisser l’histoire. Certains naissent orphelins de leur passé, d’autres le deviennent par paresse de l’esprit, par la non acceptation de la mort de ceux qui leur sont chers ou simplement du temps qui passe et de ces choses irrémédiables que l’on pense ainsi pouvoir maîtriser sinon éloigner. On peut naître orphelin de son passé, mais il arrive qu’on le devienne.
Cette photo, elle ne la connaissait pas. Elle ne l’a découverte qu’après… après le départ de sa mère. La photo était rangée avec d’autres, non connues elles aussi et pareillement jaunies par le temps. Le tout était placé dans un carton à chaussures renfermant visages inconnus et secrets bien gardés.
Pourtant bien des fois elle l’avait sollicitée à se livrer, à raconter…
« Tu n’as pas de photos ?
— Il faudrait que je cherche… «
Il arrive que la mémoire soit trop douloureuse pour remonter facilement à la surface. Alors, on laisse, on remet, on attend encore que le temps fasse son œuvre de déblaiement ou de recouvrement.
Tant que parents et grands-parents sont là, nous pensons avoir le temps. C’est comme si leur présence même était la source où il serait toujours facile de venir s’abreuver. À eux seuls ils constituent notre histoire, et l’on voudrait que celle-ci nous soit transmise à la façon de nos gènes, de générations en générations, sans effort de mémoire.
Un soir où en son cœur l’ennui creusait sa peine
Donnant du poids aux heures sans plus que temps s’égrène
Quand elle pensait enfin l’avoir pu contenir
En force lui revint le bien doux souvenir.
De la chaude journée l’air distillait aux sens
Les senteurs d’un bouquet aux multiples essences
De la mer les embruns montant jusqu’au chemin
Épiçaient d’un parfum sucré salé les pins.
D’autres, plus loin, gauchis par les vives tempêtes
Semblaient saluer la vie en inclinant la tête
Et la route verdie par la double voilure
De ce tableau vieilli égayait la peinture.
À marcher dans les pas de cet amour défait
S’épuisaient les raisons à ne plus y penser
Quand l’écho prisonnier du mur de ses silences
S’échappait de ces lieux qui avaient vu l’enfance.
Nous draperons de bleu
Les contours de l’immense
Les fissures du manque
Retiennent les adieux
Les mots sans leur mystère
Sont des corps au tombeau
Aux ailes rabattues
Le ciel reste couvert
Une plume s’invite
À briser le sarment
Vertical du temps
Les mots seuls ne suffisent
Il faut mettre du rêve
Aux semelles du vent
Naviguer dans le rien
Pigmenter d’outremer
De Lapis-lazuli
Nos songes éphémères
Ces rêves ensevelis
Par l’espoir amoindri
Mais que le cœur retient.
Septembre avant son heure imprègne toute chose
Août n’échappe pas à la métamorphose
Un vélo oublié dans la brume à venir
Et ces jours décomptés où plane ton sourire.
Il faudrait substituer son substrat à l’été
Pour d’un instant précieux faire une éternité
Capturer en chemin les essences sauvages
Que libèrent les dunes après la pluie d’orage.
Pouvoir en respirer quand l’humeur est morose
Le parfum distillé des embruns et des roses
Le mariage sauvage d’une fleur au salé
Et toutes les mémoires des chaleurs de l’été.
Car si rien ne se perd dans les couloirs du temps
C’est dans ton souvenir que je forge un présent.
Toute lumière
Qui résiste au chagrin
Porte en elle
Un regard émerveillé
De survivant.
Ne pas retenir
la douceur de l’abandon
du bleu à la nuit
« Ne séchez point, larmes d’un amour éternel ! »
Johann Wolfgang von Goethe
» Le six juillet au matin
Mon Ange, mon tout, mon moi – seulement quelques mots aujourd’hui, et cela au crayon – (avec le tien) – » Ludwig van Beethoven
Jamais aveu ne fut plus tendre
Jamais amour plus enflammé
Que ce trésor tenu caché
Qu’importe la destinataire
C’est à la musique, à l’éther
Que cette lettre est destinée
Un amour trop grand ici-bas
Brûlant d’une Appassionata
Et de ces deux cœurs consumés
Un lied à la postérité
Des notes à jamais imprimées
Sur l’immensité bleue du ciel
Jamais aveu ne fut plus tendre
Jamais amour plus enflammé
Que cette missive au secret
À l’immortelle Bien-aimée.
Photo de Laurence @f_lebel
Avant que ne se perde
Dans le jour plein
Le mystère des lointains
La brume au matin
Au dormant de la fenêtre
Contait de sa nuit
Et ses rêves
Et sa mélancolie.