Le concept moderne de démocratie est quasiment né avec la science moderne et la rationalité cartésienne. Or, la démocratie porte en elle un germe, une logique, très éloignés de l’idéal scientifique, et décrite par Rousseau en ces termes : « la volonté générale ne peut errer ». Il est pourtant impensable d’imaginer une corrélation entre le nombre de partisans d’une décision et sa validité, au sens scientifique. Quatre vingt dix neufs personnes peuvent se tromper face à un seul qui a raison. La logique démocratique favorise, au détriment d’une vérité pas toujours facile à établir, le choix du plus grand nombre. Bien sûr, il est préférable que les citoyens « suffisamment informés » fassent le bon choix, mais la majorité légitime l’erreur éventuelle.
Aujourd’hui, la logique scientifique l’emporte sur la logique démocratique, et au droit de décider de ce qui est bon pour nous, on a substitué la connaissance par certains de ce qui est bon pour nous. Les experts prolifèrent et la collusion est notoire entre les gouvernants et les techniciens de la machine étatique. La gestion par ceux qui savent l’emporte depuis déjà longtemps sur la politique par ceux qui rêvent.
Et encore, s’ils savaient vraiment, on pourrait accepter que le contrôle citoyen ne s’exerce que pour se rappeler à leur bon souvenir, et canaliser les frustrations des mécontents. Mais la société est devenue trop complexe pour qu’aucun puisse affirmer avoir une solution. Il faut réhabiliter le tâtonnement et l’erreur, exclus de la logique scientifique, mais qui font le charme de l’expérience démocratique. La politique doit redevenir un espace de créativité, celui où sera inventée la société de demain.
Blaise Hersent-Lechâtreux
Extrait
Réflexion sur le modèle politique de la France
Février 2002